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Dakar, nid de passions, nid de blues (Par Mamadou Oumar Kamara)

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Nombreux sont ceux qui seraient tentés de décrire Dakar avec l’acuité des mots de Renaud dans « Hexagone ». Dakar, on l’aime passionnément autant qu’on le maudit furieusement, toute l’année. On s’attache à la ville en ce qu’elle comporte nos identités et demeure notre foyer, et elle énerve avec ses travers qui en sont à masquer ses grâces.

Y vivre n’est pas une sinécure. L’affaire aurait pu s’étendre aux autres 13 régions du Sénégal si le rustique et la «quiétude» n’y inspiraient pas autant d’indulgence. Mais enfin … Dakar expose une face disgracieuse. La ville se mesure à sa congestion. Des rues et des routes aussi embouteillées que ces mélanges d’écorces censés guérir tout sauf la mort et vendus impunément partout au gré d’une automédication enthousiaste. Dans ces bouchons, seuls les vendeurs à la criée s’éclatent et, plus dangereusement, les motos-Jakarta risquant des vies et chargeant le tableau hideux. Dakar, c’est aussi sa nouvelle architecture sans âme, entrainée par des constructions-épouvantails, vulgaire forêt de pierres. On ne voit même plus nos plages, s’il en reste! Cette urbanisation débridée déteint sur nos comportements.

La styliste Oumou Sy nous faisait constater que les constructions dakaroises ont eu raison de notre goût de l’aventure (différent du désir pour l’aventure). Car, on a obstrué les horizons, là où le panorama entoure la campagne. Les divertissements littéraires et télévisés qui compensaient, ainsi que les espaces culturels, souffrent généralement de contenus adéquats. Tandis que les bons coins sont perçus comme un luxe, les aires de jeux publiques manquent drastiquement, avec la prédation foncière. Il n’est plus prudent d’être chauve à Dakar! Cette architecture folle a même influencé nos manières d’aimer et d’entretenir les sensibilités.

Cependant, nombreux sont ceux qui assaillent Dakar sans saisir son âme. Ceux qui la connaissent, ces «Oldies Boy Dakar», s’irritent de la situation parce qu’on assiège leur sanctuaire et profane leur mémoire. Le bastion est atteint au cœur. «Balafon, 2 Rue Macodou Ndiaye», «Miami, Star Band de Dakar», «17 Rue Jules Ferry», «Kilimanjdaro», «Terrou Baye Sogui», «Ngalam», «Thiossane», «Prentania», «KaayFindiw», «Sandaga Cantine B224», «Rallye Dakar», «Foureul», «Kassak», … Ces noms sont évocateurs de lieux, de personnes, de programmes, mais surtout de mystiques souvenirs qui hantent notre ville. « Dakar, Métamorphoses d’une capitale » de Carole Diop et Xavier Ricou rend bien compte de cette mutation qui s’apprécie avec la distance.

Les émigrés racontent d’ailleurs mieux Dakar, avec la nostalgie de l’étreinte de l’amoureux. Wasis Diop, dans le livre «Dakar, Nid d’artistes» d’Aïsha Dème, énonce le principe dans une poésie dont il a seul, le secret. Il dit : « C’est là où j’ai entendu le rythme. C’est là où je suis tombé amoureux pour la première fois. (…) C’est là où j’ai entendu ce fameux cheval ; quelques-uns disent que c’est un cheval, d’autre une hyène, ou encore Leuk Daour. (…) un tas d’événements extraordinaires qui s’inscrivent toujours dans les profondeurs ». Wasis dit y avoir connu Seck Baraya, personnage extraordinaire qui se promenait dans Dakar avec un encensoir. Et Meïssa Bop, sorte de danseur étoile qui sortait la nuit et faisait le tour des quartiers. Au symposium «États des Lieux» (18-21 décembre 2024), organisé par RAW Material Company et mené par Felwine Sarr, ce dernier disait que ces liens intangibles révèlent des solidarités communautaires à travers, entre autres, « la créativité artistique qui façonne l’identité urbaine ».

C’est là où des arts, encore, transparaissent ce visage de Dakar qu’on aime. Écoutez « Ndakaaru », pas de Youssou Ndour cette fois, mais de Sahad Sarr et de Khalifa Gueye. Regardez le clip, disponible sur YouTube. Le duo représente déjà en soi ces formidables scènes alternatives. La vidéo présente le dynamisme de la mode, la débrouille des petites gens, une décrépitude des murs bizarrement séduisante, les remuantes interactions, la littérature orale, la chaleur des « coins » de Dakar, ville bluesy comme dit Wasis, les désœuvrés sur les trottoirs, les taxis jaunes-noirs en fantômes, le car-rapide qui résiste malgré son entrée au musée (Musée de l’Homme de Paris), … Bref, cette vie à accepter avec toutes ces énergies plurielles mouvantes, comme les tànnebeer qui se mueront en thiant au gré du ramadan à venir.

Source : Le Soleil

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