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Le « Système» dénoncé par le nouveau régime sénégalais : mythe ou réalité ?

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Depuis l’avènement au pouvoir du duo Faye-Sonko, le 24 mars 2024, à la tête d’un vaste mouvement de rupture, une expression revient avec insistance dans les discours officiels comme dans les débats publics : le “Système ”.

L’ancien régime est ainsi accusé d’avoir mis en place et entretenu un Système de prédation, d’injustice et de confiscation de la souveraineté populaire.

Alors ! De quoi parle-t-on exactement ? Le mot “Système ” souvent invoqué de manière floue, mérite d’être clarifié.

Est-il une réalité institutionnelle ou un simple argument rhétorique ?

Sur quoi repose-t-il ? S’il existe, pourquoi a-t-il résisté si longtemps ?

Et, surtout, comment le démanteler durablement sans sombrer dans un populisme de façade ?

Pour y répondre, il convient d’examiner en profondeur les fondements historiques, politiques et économiques de ce Système , les formes qu’il a prises au fil du temps, la critique qu’en fait le nouveau régime, mais aussi les limites et défis d’une véritable rupture.

A. Une réalité multiforme : comprendre le « Système» sénégalais

Le terme « Système» désigne un ensemble de mécanismes d’accaparement du pouvoir et des ressources, mis en place depuis l’ère coloniale mais qui s’est raffermi
dès les premières décennies post-indépendance.

Il dépasse les personnes et renvoie à une culture politique fondée sur la centralisation, le clientélisme, l’impunité et la manipulation des institutions.

Comme le souligne le philosophe Souleymane Bachir Diagne : « Un Système , ce n’est pas seulement un homme ; c’est une culture politique, une manière de s’accrocher au pouvoir, de se servir de l’État pour des intérêts particuliers. » (Jeune Afrique, 2021)

Ainsi, ce système repose sur:

  • la concentration du pouvoir exécutif, notamment présidentiel, au détriment du législatif et du judiciaire ;
  • des pratiques clientélistes qui entretiennent des réseaux de dépendance politique ;
  • une économie capturée par une élite étatique et affairiste, souvent en collusion avec des intérêts étrangers ;
  • une justice instrumentalisée, utilisée pour neutraliser les opposants.

C’est ce que, dès les années 1970, Cheikh Anta Diop dénonçait: « Quand une classe dirigeante transforme l’État en machine à protéger ses intérêts, elle se coupe du peuple et compromet l’avenir de la Nation. »

B. Des racines profondes : entre héritage colonial et néo-patrimonialisme

Le Système a été consolidé par deux dynamiques historiques principales.

  1. Un État hypercentralisé hérité de la colonisation

L’État sénégalais a conservé l’architecture jacobine du pouvoir colonial, fondée sur la verticalité, l’autoritarisme administratif et le contrôle centralisé des ressources. Dakar est resté le centre de gravité, marginalisant les régions. C’est cette macrocéphalie de Dakar que le président Senghor dénonçait.

Le politologue Amady Aly Dieng y voyait un transfert de domination : « Nos États indépendants sont restés des instruments de domination, simplement passés des mains du colon aux mains d’une élite nationale souvent docile. »

  1. Un néo-patrimonialisme enraciné dans les logiques de rente

L’État devient un outil de redistribution des privilèges au bénéfice d’un cercle restreint. Les postes (emplois), marchés publics, subventions et avantages sociaux sont octroyés non pas selon le mérite ou l’intérêt général, mais selon la proximité politique.

Le sociologue Jean-François Bayart parle d’une « politique du ventre »: « Le pouvoir est utilisé comme moyen d’accumulation privée et la loyauté politique s’échange contre des avantages matériels. »

Ce Système nourrit la corruption, l’impunité et une forme de violence sociale masquée.

C. L’instrumentalisation de la Justice et de la Sécurité

Un des traits les plus marquants du Système mis en cause est l’usage stratégique de la Justice comme bras armé du pouvoir exécutif. De Senghor à maintenant, de nombreux opposants ont été poursuivis ou emprisonnés dans des circonstances contestées.

Selon Alioune Tine, défenseur des droits humains : « Quand le pouvoir politique prend le dessus sur le pouvoir judiciaire, c’est l’État de Droit qui vacille. »

Ce déséquilibre s’accompagne souvent d’une répression policière ciblée, d’arrestations arbitraires, et de restrictions à la liberté d’expression (interdictions de manifestations, coupures d’internet et du signal des radios et télévisions.)

D. La rupture proclamée par le nouveau régime : projet ou posture ?

La coalition au pouvoir, issue du mouvement « Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité » (PASTEF), a fait de la lutte contre le Système son cheval de bataille.

Le président Bassirou Diomaye Faye l’a clairement affirmé dans son discours d’investiture : « Le peuple sénégalais a sanctionné un Système opaque et prédateur. Nous allons désormais gouverner dans la transparence, pour le peuple et avec le peuple. »

Son Premier ministre, Ousmane Sonko, renchérit : « Le Système, ce sont des hommes et des réseaux qui se croyaient propriétaires de l’État. Ce temps est révolu. »

Leur projet de rupture repose sur :

  • Une nouvelle Constitution garantissant la séparation des pouvoirs ;
  • Une refonte de la Gouvernance économique axée sur la Souplesse et la Justice sociale ;
  • Une réforme de la Justice pour en garantir l’indépendance ;
  • Une lutte renforcée contre la corruption et la spoliation des ressources nationales.

E. Des défis immenses : peut-on vraiment démanteler le Système ?

Mais comme l’ont souligné nombre d’intellectuels de bonne foi, le démantèlement d’un Système enraciné ne se décrète pas. Il se construit par la refondation patiente des institutions, la promotion de nouvelles élites, et surtout, par un changement des mentalités à tous les niveaux de la Société.

Le professeur Mamadou Diouf (Université Columbia, New York) avertit : « Le Système n’est pas seulement au sommet de l’État. Il est aussi dans les mentalités, dans l’administration, dans les habitudes politiques. Il faudra plus que des slogans pour le démanteler. »

Le danger serait de remplacer un Système par un autre, au nom du peuple ou des réseaux sociaux , sans en changer les pratiques. C’est pourquoi la vigilance citoyenne, le pluralisme et la transparence doivent être les piliers de la Transition.

                     Conclusion

Le « Système» dénoncé par le nouveau régime n’est pas une invention rhétorique, loin de là. Il correspond à une réalité historique et politique faite de centralisation excessive, de clientélisme, de corruption et d’abus de pouvoir.

Ledit Système puise ses racines dans l’histoire coloniale et s’est perpétué à travers des pratiques de gouvernance.

Mais le combattre exige plus que les discours et slogans qu’on nous sert de temps à autre; il faut une reconversion totale des mentalités, une refondation de l’État, une refonte de l’imaginaire politique et une reconstruction du lien ombilical entre le pouvoir et le peuple.

Le défi est donc structurel, social, culturel et moral. Aussi faudrait-il mettre fin aux arrestations intempestives auxquelles, perplexes, nous assistons depuis des mois.

Chaque citoyen épris de patriotisme et de paix (y compris le président Macky Sall) doit apporter sa pierre à l’édifice Sénégal que le Gouvernement Pastef veut bâtir ou rebâtir.

Comme le dit si justement Alioune Tine : « Les Systèmes ne tombent pas par la force des Mots, mais par la force des Institutions justes. »

Le Sénégal a peut-être tourné une page, mais il reste à écrire les chapitres d’une Rupture réelle, responsable et durable. Il faut donc une véritable Disruption, comme l’a si bien écrit hier, le très talentueux journaliste Mamadou Lamine Diatta dont je loue l’esprit d’à-propos.

Harouna Amadou LY
Alias Haroun Rassoul

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