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L’éternel débat sur la méthodologie des agences internationales de notation financière 

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La récente décision de l’agence Moody’s d’abaisser la note souveraine du Sénégal a suscité de nombreux commentaires dans les cercles économiques, académiques et politiques du pays. Si le gouvernement sénégalais a réagi, par le biais du ministère des Finances et du Budget, en dénonçant une “approche partiale et biaisée”, la décision de Moody’s a aussi relancé le débat sur la méthodologie des agences de notation et leur influence sur les économies des pays africains dont les réalités ne seraient pas totalement prises en compte par les grandes agences de notation.

Le gouvernement sénégalais a exprimé vendredi son regret face à la décision de Moody’s Investor Services d’abaisser la note du pays en la faisant passer de B3 à Caa1, tout en maintenant une perspective inchangée. 

Dans un communiqué, le ministère des Finances et du Budget a qualifié cette décision de “spéculative, subjective et biaisée”, estimant qu’elle ne reflète pas la solidité des fondamentaux économiques du pays, ni les réformes entreprises pour renforcer la stabilité budgétaire.

Le ministère a souligné que les justifications avancées par Moody’s reposent sur des éléments “partiels et prématurés”, issus de sources non dévoilées, traduisant, selon lui, une “ligne de conduite douteuse” de l’agence envers le Sénégal. 

Le communiqué rappelle, à cet effet, les réformes majeures engagées dans le cadre du Plan de redressement économique et social (PRES), dont l’adoption d’un nouveau Code des investissements et la révision du Code général des impôts, afin de consolider la discipline budgétaire et assurer la soutenabilité de la dette publique.

Le gouvernement met également en avant la mobilisation réussie de financements diversifiés, illustrée par des levées de fonds importantes sur le marché régional et l’élargissement de la base de partenaires financiers, incluant des banques commerciales internationales. 

Il fait valoir, à ce propos, une exécution budgétaire maîtrisée, avec un déficit de 588 milliards de FCFA à fin juin 2025 et un taux d’exécution des recettes de 50 %, en ligne, pour un objectif de déficit de 7,8 % du PIB fixé pour 2025, le ciblant tablant sur 5,0 % pour 2026.

Réaffirmant sa détermination à poursuivre les politiques économiques rigoureuses, transparentes et responsables, le gouvernement a invité Moody’s à “plus de rigueur et d’objectivité” dans ses analyses, tout en appelant les partenaires et investisseurs à évaluer la situation du pays “sur la base de données fiables, d’analyses équilibrées et de faits objectifs”.

Le débat autour de cette question offre l’occasion à  l’APS de réactualiser cette dépêche publiée en février dernier dans un contexte similaire. 

L’idée étant d’aider à mieux comprendre le fonctionnement des agences de notation et les défis en perspective d’un système de notation en Afrique, dans l’optique d’une meilleure prise en compte des réalités socioéconomiques sur le continent.

“Dans la gouvernance mondiale, il y a des institutions internationales qui mettent en place des critères de convergence. On peut citer la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Elles fixent un niveau d’endettement” à cet effet, a expliqué à l’APS l’économiste Meïssa Babou, enseignant-chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar.

Selon M. Babou, la notation financière des États repose sur des analyses du niveau de solidité et de stabilité des institutions, de la gouvernance, du solde budgétaire et des performances économiques. La notation peut ainsi influer sur la capacité d’un pays à emprunter sur le coût du crédit sur le marché financier international. 

Dans ce cadre, les agences de notation, considérées comme des “quasi-régulateurs”, jouent un rôle majeur sur les marchés financiers, mais leur méthodologie et leur influence sur les pays africains continuent de susciter des débats nourris, à la confluence de l’économie et de la politique.

Comprendre le principe de la notation

Selon M. Babou, le déficit budgétaire des pays partenaires de la Banque mondiale, du FMI ou de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ne doit pas dépasser 3 % du produit intérieur brut. C’est l’un des critères de convergence fixés par ces institutions pour mesurer les performances économiques et financières des pays membres. 

Le montant de la dette des pays membres ou partenaires de ces institutions ne doit pas dépasser 70 % de leur produit intérieur brut.

“Presque tous les pays du monde ont dépassé ces seuils”, observe Meïssa Babou, tout en précisant que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, les deux principales institutions multilatérales du monde, ne sont pas chargées d’attribuer des notes aux États. 

Ces deux institutions font confiance à des cabinets chargés de la notation des États. Les trois plus grandes agences de notation étant Moody’s, Standard & Poor’s (S&P) et Fitch Ratings. Aux côtés de ces trois agences principalement américaines, la chinoise Dagong se fraye un chemin depuis quelques années.

Si l’un de ces cabinets écrit que le Sénégal n’est plus un pays sûr et lui attribue la note C ou D, au lieu de A ou A+, “le pays […] ne pourra plus emprunter comme il le souhaite. Ceux qui doivent prêter de l’argent au pays noté de la sorte s’en tiennent à ce que dit le cabinet et se mettent à lui appliquer des taux d’intérêt extrêmement élevés”, explique M. Babou.

“Quand votre note est dégradée, vous perdez la confiance du monde, celle des marchés financiers surtout”, renseigne l’enseignant-chercheur à l’UCAD.

L’UMOA-Titres, l’agence chargée de la gestion et de la promotion des titres publics des pays de l’Union économique et monétaire ouest africaine, cite “la réduction de l’asymétrie d’information” sur le marché financier parmi les avantages de la notation. Cette réduction est avantageuse dans la mesure où elle fournit des informations aux acteurs du marché financier.

Comment lit-on la notation ?

Selon le site d’information spécialisé La finance pour tous, chaque agence de notation possède son système d’évaluation ou d’attribution des notes, lesquelles varient entre A, désignant le risque d’insolvabilité le plus faible, et D, qui est synonyme d’arrêt de toute activité et de mise en liquidation pour toute entité ainsi notée. Il existe, donc, des échelons intermédiaires entre A et D.

Les notes peuvent être accompagnées des signes arithmétiques + et –, des chiffres 1 ou 2 également, selon le même site d’information. Généralement, “plus la note est élevée, plus le risque est faible”, explique-t-il.

Selon un document de l’UMOA-Titres consulté par l’APS, la notation d’un État s’effectue à la suite d’une analyse essentiellement basée sur le niveau de solidité et de stabilité de ses institutions, le niveau d’efficacité de sa gouvernance et l’ampleur de son solde budgétaire.

La notation dépend également du niveau des revenus, de la croissance économique, ainsi que de “la solidité et [de] la résilience des positions extérieures”.

L’UMOA-Titres, dont la vocation est d’aider les États membres à “mobiliser sur les marchés de capitaux les ressources nécessaires au financement de leur politique de développement économique, à des coûts maîtrisés”, distingue deux “grands types de note”, selon la période d’évaluation du risque de crédit.

Il s’agit des notes à long terme et des notes à court terme, la première catégorie servant à évaluer le risque de crédit pendant une période supérieure ou égale à douze mois. 

Les notes à court terme sont utilisées pour mesurer la capacité et la volonté de l’émetteur à honorer ses engagements financiers, pendant une durée inférieure à douze mois.

Les critères pris en compte dans une notation financière

Selon le site de La finance pour tous, une note publiée évoque en même temps l’évolution qu’il peut y avoir durant sa période de validité. On parle, dès lors, d’une perspective positive (amélioration possible de la note), stable (pas d’évolution possible de la note) ou négative (dégradation possible de la note).

Apparue aux États-Unis d’Amérique vers 1909, la notation financière va connaître, à partir des années 1970, un développement accéléré. 

“Progressivement, la notation s’est vu attribuer un rôle de ‘quasi-régulateur’, qui la place au cœur du fonctionnement des marchés financiers”, peut-on lire dans une étude publiée en 2012 par le think tank Institut Montagne.

Dans ce rapport intitulé “Remettre la notation financière à sa juste place”, les auteurs constatent que “l’action des agences de notation présente plusieurs limites”. Ils citent notamment l’incapacité des agences “à prévoir les principales crises de dette”. Ils déplorent également leur tendance à ‘surréagir’ une fois que la crise est avérée. “Pour s’en convaincre, il faut examiner l’évolution des notations au cours de la Grande Dépression et de la débâcle financière des années 2007-2011”, peut-on lire dans le texte.

La force ou la philosophie d’une opinion

Le site La Finance pour tous évoque le “pouvoir considérable” des agences de notation en soulignant que “les titres moins bien notés présentent des risques et, donc, des taux d’intérêt plus élevés”.

“Le pouvoir de la notation est d’autant plus considérable qu’elle est devenue une norme utilisée par les régulateurs, alors que les agences de notation soulignent elles-mêmes qu’elles ne font qu’émettre des opinions”, lit-on sur ce site spécialisé.

Il signale que des juridictions américaines considèrent les agences de notation comme des “journalistes” qu’il n’est pas possible de poursuivre en justice en raison du premier amendement de la Constitution des États-Unis d’Amérique, qui garantit le droit de la libre expression.

Meïssa Babou relève, à ce sujet, une certaine “complicité” des principaux acteurs de la gouvernance mondiale – les plus grandes institutions financières multilatérales – avec les agences de notation.

En raison de cette complicité, “le Sénégal subit positivement et négativement les considérations de ces notations”, observe M. Babou.

L’économiste sénégalais constate que ces agences basées à New York et à Londres, pour la plupart, “ne mettent pas forcément les pieds dans nos pays”. 

À la différence des agences de notation internationales basées en dehors du continent, les agences de notation régionales implantées dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine connaissent bien les réalités des États africains, selon UMOA-Titres.

Les secondes savent mieux que les premières faire ressortir les hétérogénéités des économies de l’UEMOA, selon cette agence ouest-africaine.

UMOA-Titres estime que la présence d’une agence de notation dans les pays qu’elle est censée évaluer lui donne l’avantage de bien prendre en compte les paramètres qualificatifs liés à l’environnement sociopolitique, économique et culturel.

C’est l’une des raisons pour lesquelles l’Union africaine (UA) a entrepris en 2022, sous la présidence tournante du Sénégal, de créer une agence de notation continentale, celles d’Europe ou des États-Unis étant de plus en plus contestées en Afrique.

L’agence de notation africaine devait voir le jour en 2024, mais les dirigeants du continent avaient décidé, par la suite, de la mettre sur pied cette année.

Selon l’UA, le coût du crédit est toujours plus élevé pour les pays africains en raison des notes qui leur sont attribuées par les agences de notation d’Amérique ou d’Europe.

Dans un rapport publié en 2023, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) estimait que des approches plus objectives des agences de notation devraient permettre d’économiser près de 75 milliards de dollars américains au profit de l’ensemble des pays notés en Afrique. 

Cette somme représente 80 % des besoins annuels d’investissements du continent, selon le PNUD.

Source : APS

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