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Abass Fall, nouveau maire de Dakar : politique par accident

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De la prison du Cap Manuel à l’hôtel de ville de Dakar, Abass Fall, 58 ans, a traversé les épreuves sans jamais plier. Politicien «par accident », selon ses propres termes, cette figure clivante au caractère trempé, a sacrifié son école, inquiété sa mère, vu ses enfants le supplier d’arrêter… pour finalement décrocher le graal : diriger la capitale sénégalaise.

Il a vu sa mère dépérir à force d’inquiétude, ses enfants le supplier d’arrêter, son école fermer sous le poids de l’asphyxie fiscale. Abass Fall, lui, n’a rien lâché. Politicien «par accident», de son aveu, mais combattant par vocation, il a traversé la prison, les épreuves et les tempêtes pour s’offrir, ce lundi 25 août, une place au soleil : celle de maire de Dakar. À 58 ans, l’actuel ministre du Travail devient le premier magistrat de la capitale, fruit d’un parcours cabossé, nourri d’obstination et de coups d’éclat. Abass Fall est de ceux qui ne laissent personne indifférent. «Sanguin» pour ses adversaires, «véridique» pour ses partisans, il incarne une figure tranchante de la politique sénégalaise.

Le 12 septembre 2022, lors de l’installation mouvementée de la 14e législature, le pays découvre ce « boy Colobane » : Barthélemy Diasarrache des micros, Guy Marius Sagna grimpe sur un siège, et lui, face aux invectives d’un député hostile à Ousmane Sonko, lâche au député Cheikh Seck cette phrase restée dans les annales : «Sonko mo gueune sa baye» (« Sonko est plus valeureux que ton père »).

«Il m’arrive d’être caractériel»

Quelques mois plus tard, en octobre 2024, en pleine campagne pour les Législatives du 17 novembre, il choque encore : «Demain, venez avec toutes vos armes, coupe-coupe et couteaux», lance-t-il à ses militants, avant de tempérer en appelant au calme. Pour lui, c’était une réponse à l’« agression » de partisans de Barthélemy Dias contre ses propres soutiens.

«C’est vrai, il m’arrive d’être caractériel, de réagir de façon spontanée. Je ne suis pas hypocrite. Il m’arrive d’avoir des comportements que les gens ne peuvent pas comprendre. Mais c’est à la hauteur de ce que je subis», assume-t-il, lucide sur un tempérament qui fait autant sa force que son talon d’Achille. Né le 11 novembre 1966 à Colobane, quartier populaire de Dakar que la caricature peint comme un endroit de délinquance, Abass Fall grandit entre les terrains vagues de football et les salles d’études de Coran et d’enseignement scolaire. Très tôt, il se passionne pour les tribunaux, fasciné par les envolées des avocats. Il rêve d’endosser la robe noire. Mais son père, imam et enseignant de Coran, balaie l’idée : «Le droit n’est pas digne », tranche-t-il, refusant aussi qu’il s’oriente vers la philosophie. Le jeune Abass opte alors pour l’anglais. Une maîtrise obtenue en 1995 lui ouvre des portes, sans pour autant lui garantir un avenir tracé. Étudiant marié, il doit assurer ses responsabilités.

Il enchaîne les petits boulots : journalier au Port autonome de Dakar, employé chez Elf, enseignant dans des écoles privées. Salaire hebdomadaire : 5.900 FCfa. De quoi survivre, pas plus. Mais cette école de la débrouille le rapproche durablement du vécu populaire. Lui-même le dit avec un timbre vocal de guerrier : « Je suis entré en politique par accident.» D’abord simple observateur, sympathisant du président Wade sans engagement actif, il prend conscience des blocages du système à travers ses étudiants, souvent diplômés mais au chômage. « Je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de réelle politique de l’emploi », confie-t-il dans l’intimité de son bureau face à une équipe du Soleil. En 2014, il tente une première expérience dans le Mouvement des patriotes pour le développement du professeur Aliou Sow, ancien ministre de Wade. L’essai est bref. Peu après, il tombe sur une interview d’Ousmane Sonko dans le «Grand Jury» de la Rfm.

Convaincu par son discours souverainiste, panafricaniste et social, il prend contact via Messenger. La rencontre change sa vie. Sonko le prévient aussitôt : « Dans ce chemin, tu peux perdre ton boulot, ton entreprise, ou même aller en prison.» Pari tenu. En parallèle de son engagement, Abass Fall fonde en 2011 l’Institut César, établissement d’enseignement supérieur. Mais les pressions fiscales et les secousses politiques auront raison de l’aventure. L’école ferme définitivement en 2021. Une blessure personnelle et professionnelle. « J’ai tout perdu, mais je savais que c’était le prix du combat », reconnaît-il. Arrêté en 2021 et conduit à la prison du Cap Manuel, il refuse de répondre aux questions des enquêteurs. Pas même son identité. « Ils ont dû prendre ma carte d’identité », sourit-il. Devant le Doyen des juges feu Samba Sall, il lâche : «Faites ce qu’on vous demande, envoyez-moi en prison.» Le magistrat, piqué, s’offusque. Mais Abass enchaîne : «Vous ne pouvez pas vous faire passer pour une victime alors que vous exécutez le sale boulot du pouvoir.»

Carapace dure

En détention, il réclame le règlement intérieur, tient tête aux gardiens qui l’insultent, interpelle l’Observatoire des lieux de privation de liberté venu en visite. Rien ne le brise. Il sort avec une certitude : la dignité ne se négocie pas. Ce combat, il ne l’a pas mené seul. Ses enfants l’ont soutenu, non sans parfois l’implorer de lever le pied. Mais c’est surtout sa mère qui a le plus souffert. Fragilisée par les épreuves, elle tombait malade à chaque fois que son nom faisait la une. « Elle ne mangeait plus, c’était très difficile », confie-t-il, ému. A l’ombre du combattant intransigeant, demeure une blessure intime jamais refermée. Avant la politique, il y eut le football. Gardien de but prometteur dans les cadets de Colobane, Abass Fall a longtemps rêvé de carrière. Sa plus grande déception sportive ? La Can 1986 au Caire, où les Lions sont éliminés au premier tour. Aujourd’hui encore, il évoque ce souvenir avec amertume, preuve que le ballon rond reste pour lui une passion contrariée.

Bientôt sexagénaire, Abass Fall n’a rien d’un vieil homme fatigué. « Personne ne me donne mon âge. Les gens pensent que j’ai 45 ans », plaisante-t-il. Vitalité intacte, regard vif, allure énergique : autant de signes qui traduisent une force intérieure que ni les prisons ni les défaites n’ont émoussée. Pour cet homme de rupture, c’est l’aboutissement d’un chemin semé d’embûches, de sacrifices et de drames personnels. Mais aussi le début d’un nouveau défi : incarner la capitale, au-delà des invectives et des clivages. Reste à savoir si l’ancien premier adjoint au maire de Dakar- évincé de ce poste en août 2023- saura devenir un maire par conviction, capable de transformer sa rudesse en leadership rassembleur.

Source : Le Soleil

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