La Burda ou le “poème du manteau” de l’auteur égyptien Muhammad Al-Bousayri, l’un des textes poétiques les plus célèbres du patrimoine islamique, continue d’inspirer les musulmans à travers le monde, y compris au Sénégal. Plus qu’une œuvre littéraire, ce poème de 162 vers est devenu une référence spirituelle et un symbole universel de l’amour pour le Prophète Mouhammad (PSL).
Au Sénégal par exemple, la Burda occupe une place centrale dans la vie religieuse et culturelle, notamment au sein des confréries soufies telle que la Tijaniyya.
Cette voie spirituelle a adopté la récitation collective du poème lors des grandes célébrations religieuses, notamment le Mawlid, occasion pour les fidèles de se rassembler dans des mosquées et autres assemblées. Il est aussi dit que le fondateur de cette Tariqa, à savoir Cheikh Ahmad Tidiany, a contribué en quelque sorte à la réhabilitation intellectuelle et spirituelle de Muhammad Al-Bousayri en reprenant et en donnant une caution morale à son autre texte majeur Al Hamziya à travers un commentaire qu’il lui a consacré.
Ce poème a été sévèrement critiqué par les savants contemporains de l’auteur de par son approche et la structuration du texte qui sortaient un peu des formats habituels de la poésie arabe. La Hamziyya est également très populaire au Sénégal dans les cercles d’enseignement arabo-islamique traditionnel.
“Ce poème est célébré dans le monde sunnite pour sa profondeur spirituelle et son art poétique, chaque vers se terminant par la lettre mīm, un style appelé mīmiyya. Cheikh El Hadji Malick Sy, considéré comme celui qui a démocratisé la célébration du Mawlid au Sénégal, a joué un rôle majeur dans la popularité de la déclamation de la Burda certainement découverte durant son périple en Orient”, a expliqué à l’APS le docteur Bakary Sambe, président du centre de recherche Timbuktu Institute et auteur du livre “Islam au Sénégal, d’où viennent les confréries ?” (2024).
Selon cet universitaire, le texte a été commenté par des savants comme al-Fasi et al-Suyuti, et traduit en plusieurs langues, favorisant ainsi sa diffusion.
“Au Sénégal, où le malikisme et le soufisme dominent, la Burda est particulièrement prisée dans les daaras et les zawiyas, notamment tijanes, où sa récitation est vue comme une source de bénédiction (baraka)”, a-t-il poursuivi.
Chanter les louanges du prophète pour retrouver sa santé
Muhammad ibn Sa’id Al-Bousayri, surnommé Sharaf al-Din, est un poète arabe soufi reconnu pour sa maîtrise littéraire et sa profondeur spirituelle.
Composée au VIIᵉ siècle de l’Hégire alors que son auteur était gravement malade, la Burda aurait été révélée à Al-Bousayri, selon ses biographes, lors d’un songe dans lequel le Prophète lui aurait lancé son manteau, provoquant sa guérison.
D’où l’origine du titre : poème du manteau. Ce récit conféra au texte une aura sacrée, favorisant sa diffusion du Maghreb jusqu’en Afrique au sud du Sahara. Al-Bousayri mourut à Alexandrie en 696 H (1296) et y fut enterré, laissant un héritage durable à travers ses poèmes, devenus des références spirituelles et littéraires.
Sa Burda continue d’être récitée en Égypte, au Maghreb, au Soudan, en Mauritanie, et a fait l’objet de nombreux commentaires et explications par des savants à travers le temps et l’espace.
L’influence de cette œuvre au Sénégal est telle que El Hadji Abdoul Aziz Sy (1904-1997) qui psalmodiait à merveille ce texte n’a pas pu s’empêcher d’en rajouter quelques vers en hommage à son maitre Ahmad Tidiany et son père El hadj Malick Sy.
La Burda dans l’enseignement traditionnel au Sénégal
L’expérience dans l’enseignement arabo-islamique montre que les anciens enseignants valorisaient d’abord la sincérité et la haute moralité des auteurs dont ils utilisaient les ouvrages comme supports pédagogiques et didactiques.
Les savants dont les écrits étaient pris comme références n’étaient pas seulement érudits, mais aussi des modèles de vertu et de pratique religieuse éprouvée, comme le témoigne l’usage prolongé de leurs œuvres.
Les musulmans du Sénégal, comme d’autres communautés musulmanes africaines, étudiaient ces textes peu après l’étude du Coran.
Par exemple, le Matn al-Ajurrumiyya, premier texte de grammaire arabe étudié dans les écoles traditionnelles, montre que son auteur n’était pas seulement un grammairien, mais aussi un soufi confirmé.
La transmission de ces œuvres s’accompagne toujours d’une intention pédagogique et éthique : former l’élève à devenir vertueux et utile à la société.
Ainsi, l’étude de textes littéraires et poétiques comme la Burda renforçait à la fois la maîtrise de la langue arabe, la connaissance de la métrique et de la rhétorique, et l’éducation morale et spirituelle.
La Burda, symbole d’ouverture intellectuelle et de tolérance religieuse
A l’image du thème général retenu cette année pour le Gamou portant sur le vivre ensemble, l’attachement d’El Hadji Malick Sy à la Burda illustre à bien des égards son ouverture intellectuelle et sa tolérance religieuse.
En intégrant ce texte soufi classique dans son enseignement et durant les dix premiers jours du Gamou, il ne se contentait pas de transmettre un savoir religieux, mais plaçait le Sénégal dans un réseau spirituel et culturel universel, reliant l’Afrique de l’Ouest aux grands centres islamiques. De la sorte, El Hadji Malick Sy a fondé une pédagogie basée sur la beauté, le respect et la tolérance, qui continue d’inspirer les pratiques religieuses et éducatives au Sénégal.
“Le plus surprenant et seulement compréhensible par une revisite de sa conduite faite de modestie et d’humilité, est que fin lettré et poète prolixe qu’il fut, Maodo (El Hadji Malick Sy) a mis en avant la tradition de l’hommage à ses prédécesseurs. C’est son humilité altruiste qui donne à la personnalité et à son œuvre leur dimension universelle. Cette attitude d’esprit rejoint parfaitement sa philosophie d’une vie sans apparats mais brillante par sa modernité toujours surprenante”, a encore fait valoir Bakary Sambe, auteur de l’ouvrage “Le soufisme d’El Hadji Malick Sy, ou l’éclat de l’humilité”.
“L’ouverture intellectuelle de Cheikh El Hadji Malick Sy, surnommé Maodo, se manifeste par sa capacité à s’inspirer de sources diverses, comme en témoignent ses manuscrits tels que Wasîlat al-Mutaqarrbîn et Ḫilāṣ al-ḏahab, où il intègre sciences coraniques, jurisprudence malikite et poésie panégyrique avec une finesse transcendant les frontières culturelles”, ajoute l’enseignant-chercheur au centre d’étude des religions (CER) à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis.
Aux fins de son analyse, le choix d’adopter la Qasîda al-Burda plutôt que de se limiter à ses propres œuvres poétiques, reflète une “humilité intellectuelle et une reconnaissance de la richesse universelle de cette ode soufie”.
Cette ouverture illustre selon lui, l’altruisme du savant sénégalais, car en privilégiant un texte ancré dans l’imaginaire collectif et intemporel, “il offre à ses disciples, notamment au Sénégal, un outil spirituel d’intercession et de bénédiction, aligné avec la tradition soufie de manière générale, plutôt que de s’attarder sur une autopromotion poétique”.
Une autre grande figure de l’islam au Sénégal, El Hadj Ibrahima Niass, s’est également illustrée par son esprit d’ouverture.
Outre la lecture intégrale de la Burda le jour du Gamou, il a aussi porté son choix sur un texte majeur de la littérature soufie, composé par l’auteur mauritanien Muhammadi Badi Al-Alawy (1787-1848).
Bien qu’il ait lui-même produit de nombreux écrits consacrés au Prophète, Cheikh Ibrahima Niass — qui joua un rôle déterminant dans la diffusion de l’islam et de la tarîqa tidiane au-delà des frontières sénégalaises — préféra mettre en lumière ce recueil, communément appelé Mawlid.
Il avait coutume de le réciter, d’une voix mélodieuse, au cours des premiers jours du mois célébrant la naissance du Prophète. Cette tradition est encore aujourd’hui perpétuée par ses fils.
Source : APS
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