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Dette souveraine, dette cachée, dette odieuse: que cachent ces termes techniques ?

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L’économiste et expert en prospective économique Moubarack Lo a évoqué avec l’Agence de presse sénégalaise les dangers pouvant résulter de l’existence d’une dette dite cachée, notant qu’une telle situation peut fragiliser les finances publiques, réduire la crédibilité de l’État sur les marchés financiers et accroître la pression sur les populations, appelées souvent à “supporter un effort supplémentaire”.

Cette analyse s’inscrit dans un contexte marqué par la question de l’endettement du Sénégal qui suscite de vifs débats dans l’opinion publique, à travers notamment des initiatives populaires réclamant un audit citoyen de la dette.

“Quand vous avez une dette cachée, tôt ou tard la réalité finit par vous rattraper”, a expliqué le directeur général de Emergence Consulting group.

Selon Moubarack Lo, ce sont souvent “les gouvernements qui succèdent à ceux ayant dissimulé l’endettement qui en subissent les conséquences, ajoutant que les charges imprévues rendent le remboursement difficile et contraignent le peuple à supporter un effort supplémentaire”.

L’ancien conseiller spécial et économiste en chef à la Primature précise également que la révélation d’une dette dissimulée peut entraîner une “hausse brutale” du niveau d’endettement du pays, réduisant sa capacité à “recourir à de nouveaux financements”.

“La dette est saine quand elle traverse toutes les procédures prévues dans le cadre règlementaire”

“Cela affecte la crédibilité de l’État et peut le plonger dans une crise de liquidité”, avertit-il, évoquant le risque de défaut sur plusieurs crédits.

Il indique également que cette situation peut provoquer une “perte de valeur des titres sur le marché secondaire et pousser les créanciers à refuser de nouveaux prêts”.

Dans ce contexte, les futurs emprunts deviennent plus coûteux, car “la prime de risque exigée par les investisseurs s’élève fortement”, a-t-il souligné.

Dette souveraine, dette cachée, dette odieuse: que cachent ces termes techniques ?

M. Lo a précisé que la dette souveraine est celle contractée directement par l’Etat central. “Quand des régions ou départements s’endettent, on ne parle pas de dette souveraine, sauf si l’Etat apporte sa garantie, auquel cas cela revient à considérer que c’est lui qui emprunte”, a-t-il précisé.

L’économiste distingue plusieurs formes de dette. La première, dite dette souveraine saine, est contractée “dans les règles de l’art, avec des taux et conditions de paiement corrects, sans clauses anormales”, et sert à financer des “infrastructures utiles à la population”, comme des écoles, des centres de santé, l’accès à l’eau potable ou à l’électricité.

“Quand la dette est saine, elle doit traverser toutes les procédures prévues dans le cadre règlementaire, notamment les comités d’endettement, les consultations à différents niveaux de l’Etat, mais aussi respecter l’autorisation parlementaire”, a encore fait valoir Moubarack Lo.

Il insiste sur le fait que c’est le Parlement qui autorise l’Etat à s’endetter. “Quand vous avez une dette cachée, ces différentes procédures peuvent ne pas avoir été respectées. C’est cela le risque”.

La seconde catégorie est celle de la “dette souveraine cachée”, qui peut parfois financer des projets utiles mais “n’est pas retracée dans les comptes publics”.

“En général, cela permet de contourner les limitations fixées, notamment le poids de la dette par rapport au PIB ou par rapport à d’autres agrégats comme les exportations et les recettes budgétaires”, a expliqué M. Lo.

Selon lui, ce type de dette “ne respecte pas toujours les procédures réglementaires”, telles que le passage devant les comités d’endettement, les consultations institutionnelles ou l’autorisation parlementaire.

La dette cachée, une “tactique malheureuse”

“L’Etat peut décider de ne pas tout afficher et donc de pouvoir s’endetter. Parfois, il peut le faire en espérant que le temps peut jouer en sa faveur et que tout va revenir à la normal”, a-t-il poursuivi.

Découverte tardivement, la dette cachée peut contraindre le gouvernement successeur à supporter un lourd fardeau, au détriment des finances publiques et de la population. Elle réduit également la capacité d’endettement futur, la crédibilité du pays et peut entraîner une hausse des taux d’intérêt appliqués par les créanciers.

M. Lo a également évoqué la notion de dette odieuse, totalement différente des deux premières, car elle ne sert pas les populations mais les intérêts de ceux qui s’endettent, souvent au moyen de surendettement, de commissions indues ou d’achats d’équipements inutiles.

“Ils vont s’endetter pour acheter des équipements dont la population n’a pas besoin ou qui desservent la population. Parce que ça peut être de l’armement qu’on retourne contre la population. Dans l’histoire on cite notamment ces cas-là dans les dictatures au niveau mondial”, souligne-t-il.

“Très souvent, une dette odieuse est en même temps cachée, car tout est fait pour qu’elle ne soit pas visible”, a-t-il noté.

Dette souveraine, dette cachée, dette odieuse: que cachent ces termes techniques ?

Il note toutefois qu’il est possible d’avoir une combinaison de ces trois typologies. En ce sens, une dette odieuse est une dette souveraine. Elle peut être également cachée.

“D’ailleurs c’est la situation la plus présente. Parce que, en général, quand c’est odieux on fait tout pour que ce ne soit pas visible. On peut penser que chaque fois qu’une dette est cachée, il y a peut-être des éléments de dette nuisible. Je ne dirai pas le mot odieux dedans. Maintenant çà peut être plus ou moins important selon l’intégrité de ceux qui gouvernent”, tranche-t-il.

Il reste que la dette cachée peut-être juste une “tactique malheureuse” pour pouvoir traverser une période difficile, renseigne M. Lô.

Elle permet de pouvoir s’endetter en contournant “les règles fixées au niveau régional, communautaires ou au niveau international et recourir à ce procédé”, a-t-il fait savoir.

Revenant sur les critères communautaires en matière d’endettement, il a insisté sur la nécessité de respecter les règles de discipline fixées au niveau régional.

“Ces normes ne sont ni la Bible ni le Coran, mais elles sont essentielles pour assurer la convergence économique dans une union régionale”, a-t-il affirmé.

Le peuple a droit à un exercice de transparence et d’évaluation

“Personne ne peut vous convaincre qu’il faut s’endetter en deçà de 70% du PIB.  Que si vous ne faites pas çà le pays ne va pas marcher. Mais la discipline communautaire, c’est un élément fondamental de l’intégration régionale. Elle permet aussi d’assurer la convergence. Quand vous êtes en union régionale, chaque pays doit s’évertuer à réduire les écarts de ses indicateurs par rapport aux autres. C’est cela qui permet de mener des politiques économiques communes”, a ajouté l’expert en prospective économique.

En ce qui concerne les perspectives pour la gestion de la dette au Sénégal, le directeur général de Emergence Consulting Group insiste sur la transparence dans les chiffres.

“Il faudrait que le gouvernement dans la même manière qu’il avait organisé une conférence de presse l’année dernière pour parler de la dette, qu’il réorganise une autre conférence de presse dans les mêmes formes pour dire au peuple, au terme du travail qui a été mené, voilà la situation”, a-t-il recommandé.

Selon lui, cet exercice de transparence et d’évaluation, “le gouvernement le doit au peuple”, ajoutant : “Il faudra être très détaillé, pas simplement donner des chiffres, mais dire les tenants et les aboutissants de la dette cachée, même de la dette (souveraine) elle-même de façon générale”.

Dette souveraine, dette cachée, dette odieuse: que cachent ces termes techniques ?

L’étape suivante, poursuit-il, devrait consister à publier un plan permettant d’indiquer les réformes que le gouvernement compte mener dans les prochains mois et années concernant la gestion de la dette.

“Il va falloir convaincre le peuple qu’il n’y aura plus de dette cachée, ni d’endettement fait en contournant les procédures”, dit Moubarack Lo, en allusion notamment au respect des autorisations parlementaires.

“Je pense que, avec cela, progressivement, la confiance va se rétablir totalement. Non seulement à l’intérieur du pays avec les populations, mais également à l’extérieur auprès des partenaires au développement et des investisseurs financiers”, a-t-il ajouté.

La répudiation de la dette odieuse, une revendication majeure du Tiers mondisme

“Le Sénégal est à un moment charnière de son histoire. Sans une mobilisation et une vigilance citoyennes, c’est son avenir économique qui risque d’être très sérieusement compromis. En effet, notre pays vit une crise de la dette sans précédent, illustrée notamment par un service de la dette qui dépasse les recettes budgétaires internes attendues cette année”, peut-on lire dans un manifeste signé par plusieurs organisations de la société civile et des intellectuels sénégalais.

Selon le texte “comme partout et toujours, ce sont les populations les plus vulnérables […] qui font les frais des politiques d’austérité allant de pair avec les crises d’endettement”.

“Les politiques d’austérité impliquent des impôts et taxes plus élevés, une dépense publique léthargique, une économie atone. In fine, elles provoquent une dégradation des services publics ainsi qu’une paupérisation accélérée”, ont encore relevé les signataires de ce manifeste intitulé “Pour un audit citoyen de la dette”.

Dans son ouvrage paru en 2017 et intitulé “Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation”, Éric Toussaint rappelle que la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux. Même “une dette contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse, si elle va franchement à l’encontre des intérêts de la population”.

Citant le juriste russe Alexandre Nahum Sack (1890-1955), qui compte parmi les pères de la doctrine de la dette odieuse, Erici Toussaint ajoute que si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, et être annulée ou répudiée.

La doctrine de Sack allait également dans le sens, dit-on, de responsabiliser les créanciers : si ceux-ci connaissent les desseins de l’emprunteur, ils commettent selon lui “un acte hostile à l’égard du peuple” et s’exposent eux-mêmes au risque de non remboursement si le régime est déchu. Ils ne peuvent donc réclamer leur dû.

Dans un article du Centre de droit international du développement durable datant de 2003, une dette est classée odieuse si elle a été contractée contre la volonté du peuple, ou si les fonds ont été dépensés de façon contraire aux intérêts de la population.

“Quand une dette est cachée, le peuple finit toujours par payer les pots cassés”, a conclu Moubarack Lo, appelant à la vigilance et à la transparence dans la gestion de l’endettement public.

Source : APS

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