Home international “L’Afrique contre la démocratie” : le journaliste Ousmane Ndiaye propose une radioscopie critique
internationalPolitique

“L’Afrique contre la démocratie” : le journaliste Ousmane Ndiaye propose une radioscopie critique

Partager
Partager

Le journaliste sénégalais Ousmane Ndiaye offre, avec son essai ‘’L’Afrique contre la démocratie – Entre mythes, déni et péril’’ (Riveneuve – collection ‘’Pépites jaunes’’, 172 pages), une radioscopie documentée, aussi renseignée que percutante, pour déconstruire ‘’une idée […] aussi populaire que dangereuse’’, qui ‘’voudrait faire croire que la démocratie ne serait pas faite pour les Africains’’.

Le livre de Ndiaye, résultat de ‘’pérégrinations de journaliste parcourant le continent’’, est d’autant plus intéressant qu’il participe au nécessaire devoir d’inventaire d’un corpus d’idées reçues, de fantasmes qui légitiment des considérations et situations politiques entravant la marche vers une société plus démocratique.

Le souci, tout au long du texte, a été de rester collé aux faits – autant l’histoire, les statistiques que les discours – denrées premières du journaliste qu’est l’auteur.

La première idée reçue que relève l’auteur est que la démocratie en Afrique ‘’n’est pas un héritage du colon ou une importation occidentale’’. Il soutient que ‘’la colonisation a de fait enrayé les formes démocratiques trouvées en Afrique.’’

L’un des intérêts relevés par le professeur Jean-François Akandji-Kombé, dans sa préface de l’ouvrage, est celui-ci : ‘’[…] Ousmane Ndiaye a choisi, et c’est heureux, de partir du ‘’terrain’’ qu’il connaît bien, comme journaliste qu’il est’’, ‘’un journaliste qui a traversé l’Afrique de part en part en étant ouvert aux idées et réalités du monde et qui, chemin faisant, a observé, fait parler et a parfois été témoin des confessions de nombre des acteurs déterminants de ce qu’il faut bien considérer comme une tragédie : des maîtres à penser aux réalisateurs de l’opération spéciale qui consiste à ‘’vider’’ le continent de la démocratie.’’

Dès les premières lignes de son introduction, Ousmane Ndiaye campe le décor du débat : ‘’Dans les bascules, désordres et recompositions du monde, une idée a fait florès en Afrique. Aussi populaire que dangereuse, elle voudrait faire croire que la démocratie ne serait pas faite pour les Africains. Ou encore, variante subtile pour les intellos accros à l’applaudimètre facile : il faudrait ‘une démocratie adaptée aux valeurs africaines’. Comme si, ultime offense, les valeurs africaines étaient antinomiques avec la démocratie.’’

‘’D’où vient alors cette certitude que la démocratie ne serait pas opérante en Afrique ?’’ L’auteur part de l’assertion de Jacques Chirac – ‘’L’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie’’, à laquelle avait répliqué l’écrivain nigérian Prix Nobel de littérature Wole Soyinka – ‘’L’a-t-elle jamais été pour la dictature‘’, pour questionner le concept de ‘’maturité démocratique’’ mis en lien avec ‘’le discours panafricain du relativisme démocratique’’.

“Guerre d’ingérence douteuse au nom de la démocratie”

Ousmane Ndiaye s’attaque, pour démonter leur fragilité et leur faiblesse, aux mythes qui entretiennent l’inadéquation entre Afrique et démocratie, à leurs promoteurs médiatiques, intellectuels et politiques, entre autres.

Dans sa peinture de la galaxie des ‘’intellectuels et activistes’’ vulgarisateurs de cette ‘’aberration’’ – ‘’L’Afrique n’est pas faite pour la démocratie’’, Ousmane Ndiaye parle des mythes. Le premier, sous sa plume, est celui de la ‘’révolution démocratique : cas du Mali’’. ‘’Dimanche, c’est jour de mariage à Bamako. Mars, c’est le mois des coups d’Etat’’, dit-il dans une formule qui fait sourire. Parmi les mythes maliens qu’énumère Ndiaye, il y a le ‘’militaire’’, ce qu’il appelle ‘’le mythe kaki’’.

‘’Il s’agit ici de cette construction populaire et intellectuelle qui raconte que les militaires sont venus sauver la nation des terroristes bien sûr, mais aussi des affreux civils, irresponsables et traîtres’’, explique l’auteur, relevant que du point de vue factuel, ‘’il est aisé de se rendre compte que le pays a été plus longtemps dirigé par des militaires que des civils’’.

Au sujet du ‘’poids des ingérences’’, Ousmane Ndiaye parle de la France qui, ‘’par le biais d’artifices, a installé et maintenu au Gabon, aux Comores, en République centrafricaine, au Tchad, au Congo-Brazzaville ses hommes en n’ayant que faire des considérations et aspirations légitimes des peuples’’. Ndiaye cite aussi l’intervention en Côte d’Ivoire (2011) ‘’avec le paravent du mandat international onusien’’, la ‘’guerre d’ingérence douteuse au nom de la démocratie et la liberté […] pour renverser le président libyen Mouammar Kadhafi en 2011’’.

‘’Loin du mythe, le processus des Conférences nationales a commencé bien avant le discours de Mitterrand à La Baule (juin 1990) – dans ‘’le registre infantilisant’’ de sa ‘’rhétorique’’. Le Bénin et le Congo-Brazzaville ont eu leurs conférences en février 1990, et le Gabon a eu la sienne en mars de la même année. ‘’L’impact émotionnel des conférences est certain mais paradoxalement il semble obstruer un inventaire sans concession de leurs acquis et bilans’’, analyse Ousmane Ndiaye, qui consacre par ailleurs des lignes à la ‘’kagaméphilie’’ – de Paul Kagamé, président du Rwanda – ‘’théorie de la dictature éclairée’’.

"L'Afrique contre la démocratie" : le journaliste Ousmane Ndiaye propose une radioscopie critique

‘’Dans une Afrique en crise de leadership, peu de place à l’exigence. Il faut un héros ! La fascination Kagamé est partout’’, écrit Ousmane Ndiaye à ce sujet, citant le magazine panafricain ‘’Jeune Afrique’’, qui ‘’lui donne presque tribune ouverte’’ avec son directeur de la rédaction, François Soudan, ‘’exégète et biographe admiratif de Kagamé’’. ‘’Il n’est pas seul, ajoute-t-il. La ‘kagaméphilie’ fait des ravages chez les journalistes spécialistes du continent.’’

Cette théorie a aussi ‘’des représentants intellectuels de poids’’, poursuit Ndiaye, citant l’écrivain et journaliste sénégalais Boubacar Boris Diop, ‘’figure respectée de l’intellectuel engagé’’, dont les textes et prises de position ‘’contre les dérives de l’impérialisme et la France pèsent dans le corpus du débat’’, autant que la constance de son engagement ‘’contre les restrictions démocratiques et dérives autocratiques des présidents Abdoulaye Wade et Macky Sall […]’’. ‘’Mais curieusement, il s’aveugle dès qu’il s’agit du Rwanda, tempère Ndiaye. L’écrivain légitime toutes les entorses qu’il combat ailleurs et s’installe dans un étonnant relativisme démocratique.’’

A ‘’la tragédie des ’opposants historiques’’’, il est consacré un long développement. Ousmane Ndiaye structure son analyse par le profil et le parcours de trois d’entre ces figures qui ont mobilisé les foules, sont passés par toutes sortes d’entraves pour conquérir le pouvoir’’. Il y a d’abord Alpha Condé, qui ‘’symbolise jusqu’à la caricature la tragédie des opposants historiques’’. Laurent Gbagbo ensuite, qui, ‘’en dépit des conditions discutables in fine de son élimination, incarne toute l’ambigüité d’une génération d’opposants historiques face à la violence.

Abdoulaye Wade enfin, ‘’le héraut du pluralisme médiatique (qui) muselle la presse’’ et avec ‘’la dissidence est criminalisée’’. Cette tragédie des opposants historiques ‘’a son pendant : celle des présidents à vie. Omar Bongo au Gabon, Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire. Pour Idriss Déby au Tchad ou Gnassingbé Eyadema au Togo, mourir au pouvoir est comme un objectif’’.

Les courants radicaux “trop vite rangés dans le sentiment anti-français”

Dans le chapitre sur les mythes, il y a un lyrisme dont on se délecte dans l’évocation des ‘’fictions démocratiques’’, où ‘’le code électoral n’a rien à envier aux démocraties les plus avancées, incluant le contrôle citoyen, l’ouverture du processus à toutes les étapes à l’opposition et aux observateurs nationaux et internationaux…‘’

‘’Dans la pratique, relativise le journaliste, le contrôle citoyen est empêché. L’ouverture du processus à l’opposition obstruée. Les observateurs internationaux sont souvent confinés dans la capitale avec des bureaux de vote soigneusement triés.’’

Dans la radioscopie critique d’Ousmane Ndiaye, il y a aussi la Tunisie où ‘’quelques fleurs du mal bourgeonnent autour de la démocratie, alors que le printemps n’est plus de saison’’, le ‘’Nouveau Somment Afrique-France’’ – où sont conviés des entrepreneurs, ‘’de préférence dans la tech, leaders de la société civile actifs dans le changement social, créateurs et artistes branchés… et nulle par cette jeunesse en colère mobilisée contre le franc CFA […] ou les courants radicaux, même réellement représentatifs mais trop vite rangés dans la catégorie fourre-tout du ‘sentiment anti-français’…’’

Les dernières lignes du très entraînant essai d’Ousmane Ndiaye sont consacrées au ‘’double standard’’ quand il s’agit de poser un regard sur l’histoire, les événements et l’actualité telle qu’elle se produit. Relevant que le double standard, ‘’avant d’être géopolitique et politique’’, est ‘’médiatique’’, il souligne que dans cette perspective, ‘’les intérêts géostratégiques l’emportent sur les valeurs démocratiques’’. Le double standard ‘’traduit la crise du multilatéralisme dans les relations internationales’’.   

Dans un continent où la démocratie a été ‘’réduite à sa définition minimale : l’élection’’, ‘’les injonctions démocratiques, à géométrie variable ne renforcent désormais que le rejet de l’idéal démocratique au nom du souverainisme’’, soutient Ousmane Ndiaye. Il déplore par ailleurs le fait que le déni démocratique qui ‘’puise aussi sa source dans l’échec des opposants historiques’’, s’appuie ‘’sur les dérives du panafricanisme et de l’anti-impérialisme’’.

‘’Le souverainisme légitime est le prétexte pour rejeter les aspirations démocratiques des peuples’’, écrit-il dans la conclusion d’un ouvrage qui a le mérite d’enrichir le débat sur le droit à la démocratie, dans un contexte où ‘’il est devenu périlleux de se lancer dans un contre-discours’’.

Source : APS

Partager

Laisser un commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ne manquez pas

Dakar condamne les sanctions américaines visant des juges de la CPI, dont un magistrat sénégalais

Le Sénégal a fait part de son “étonnement” à la suite des sanctions prises par les États-Unis d’Amérique contre quatre magistrats de la...

Vers l’arrêt des importations de gaz à partir de 2026 (PM)

Le Sénégal ne compte plus importer de gaz à partir de 2026, a annoncé le Premier ministre, Ousmane Sonko, selon lequel cette orientation...

Related Articles

Gestion financière du pays : Aldiouma Sow de Pastef dénonce la perception de l’opposition

Suite aux critiques ayant suivi la publication du rapport d’exécution budgétaire du...

Abass Fall, nouveau maire de Dakar : politique par accident

De la prison du Cap Manuel à l’hôtel de ville de Dakar,...

Les députés planchent sur le projet de loi portant statut et protection des lanceurs d’alerte 

La plénière de l’Assemblée nationale examinant le projet de loi portant statut...