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Le règlement en cours de la crise dans l’Est du Congo: le continent en spectateur face à des acteurs extérieurs engagés

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PAR CHEIKH NIANG, ancien ambassadeur, Représentant du Sénégal auprès des Nations unies

La signature, le 19 juillet 2025, à Doha d’une Déclaration de principes entre le gouvernement congolais et l’AFC/M23, sous la facilitation du Qatar, marque une étape importante dans la perspective d’un règlement du conflit dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC).

Toutefois, au-delà des espoirs suscités par ce succès diplomatique, l’initiative soulève des questions sur les motivations des acteurs impliqués, tout en mettant en lumière la marginalisation de l’Union africaine (UA) dans un dossier au cœur de la sécurité du continent.

La Déclaration fait certes référence aux principes fondamentaux de l’UA — souveraineté, intégrité territoriale, respect des frontières héritées —, mais force est de constater que l’organisation continentale a été absente dans ce processus. Aussi bien dans la conception que dans la facilitation. Le document met plutôt en exergue le rôle central du Qatar, l’alignement sur l’« accord de Washington » et les résolutions du Conseil de sécurité. Cela suggère que l’UA a été cantonnée à une posture de légitimation postérieure ou d’observatrice passive, sans pouvoir d’initiative ni autorité agissante.

Après le mandat de facilitation qui avait été confié à l’Angola jusqu’en mars 2025, dans le cadre de la « feuille de route de Luanda », c’est la diplomatie du Qatar qui a visiblement pris les rênes du processus de normalisation. Cette diplomatie s’est imposée par son agilité, l’éventail de ses ressources et son image de neutralité que peinent à incarner les acteurs africains impliqués dans la crise. Ce basculement s’explique aussi par l’incapacité de l’UA à mobiliser les moyens politiques et logistiques nécessaires, mais surtout par l’absence de volonté collective de faire pression sur les protagonistes directs ou indirects (notamment le Rwanda et l’Ouganda), pourtant souvent membres des organes décisionnels de l’UA.

Le choix de Doha comme lieu des négociations n’est donc pas anodin. Il symbolise un recul du leadership africain sur une crise africaine. En se résignant à un processus externalisé, on en vient à délégitimer l’idée même d’une diplomatie africaine par les Africains, pour les Africains. Le principe de « solutions africaines aux problèmes africains », souvent invoqué dans les textes fondateurs, peine tristement à se concrétiser dans la pratique et sonne ainsi comme une ritournelle. La crise dans l’Est de la RDC met à nu un décalage entre les discours normatifs et la réalité des dynamiques diplomatiques sur le terrain.

Mais, au-delà de ce délitement africain, qu’est-ce qui se dessine derrière l’apparente neutralité des intervenants extérieurs et les postures des pays tiers impliqués ou intéressés ?

Bien que précieuse, la médiation de cette monarchie du Golfe s’inscrit dans une stratégie de diplomatie d’influence clairement assumée. En accueillant ces pourparlers, Doha renforce sa stature de médiateur global, comme dans les crises en Afghanistan ou au Soudan. Cette intervention le renforce davantage comme un acteur crédible du multilatéralisme, capable de dialoguer avec toutes les parties, sans les stigmates historiques propres aux grandes puissances. Cette opération de soft power vise également un ancrage stratégique en Afrique centrale, en préparant le terrain à des investissements dans les infrastructures, les télécoms et surtout les minerais stratégiques (coltan, lithium, cobalt), essentiels à la transition énergétique. Un climat pacifié en RDC est donc doublement bénéfique : pour l’image diplomatique du Qatar et pour ses intérêts économiques à moyen ou long terme.

Le fait que la Déclaration de Doha soit « alignée sur l’accord de Washington » indique une implication américaine effective. Les États-Unis entendent stabiliser la région des Grands Lacs, à la fois pour prévenir un chaos propice à l’expansion de l’influence chinoise et russe, et pour sécuriser leur accès aux chaînes d’approvisionnement en minerais critiques. En soutenant le processus enclenché par le Qatar, Washington sous-traite la médiation à un allié proche tout en minimisant son exposition directe. Cette stratégie de l’ombre lui permet de peser dans le processus sans apparaître en première ligne.

Le Rwanda et l’Ouganda, souvent cités pour leurs liens supposés avec le M23, jouent une partition complexe. Ils pourraient accepter un retrait progressif en échange de garanties sécuritaires ou de réhabilitation diplomatique. L’Angola, quant à lui, cherche à préserver son rôle de médiateur régional, tout en s’assurant que l’instabilité congolaise ne déborde pas sur ses frontières septentrionales.

En définitive, l’Union africaine a été présente dans les textes, mais absente dans les dynamiques. A son égard, le processus a été exogène dans son impulsion et extra-continental dans son déroulement. Cette marginalisation interroge la capacité réelle de l’UA à anticiper et piloter les crises majeures, à offrir une médiation structurée dotée de ressources et à créer un cadre diplomatique respecté par tous. Si cette tendance persiste, elle risque d’affaiblir durablement la légitimité de l’architecture africaine de paix et de sécurité et de réduire l’Afrique à un théâtre diplomatique, au lieu d’en faire un acteur géopolitique à part entière.

L’on pourrait alors, en guise de moralité pour illustrer l’éclipse africaine dans ce processus, penser à cette vérité crue : lorsque les gens de la maison dorment sous le porche, il ne faut pas s’étonner que les étrangers s’installent dans le salon.

CHEIKH NIANG, ancien ambassadeur, Représentant du Sénégal auprès des Nations unies

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