Une bombe à retardement sociale
Au Sénégal, une dynamique alarmante s’installe et menace, à moyen et long terme, la dignité de milliers de travailleurs. Il s’agit du recours abusif aux contrats de prestations de services, en lieu et place de contrats de travail formels (CDD ou CDI). Cette pratique illégale détourne le sens même de la relation de travail et prive nombre de travailleurs d’une protection sociale de base, en particulier d’une retraite garantie. Selon la déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable (2008) et les normes de l’OIT en matière de travail décent, chaque travailleur a droit à une protection sociale, y compris une pension de retraite, fruit de son effort tout au long de sa vie professionnelle.
Le risque d’une génération sans retraite
Dans son acception économique et sociale, le risque désigne la possibilité qu’un événement mal anticipé cause un dommage. En l’espèce, le risque est colossal : voir des milliers de Sénégalais, après une vie de travail, sombrer dans la pauvreté parce qu’ils n’ont jamais cotisé à l’IPRES (Institution de Prévoyance Retraite du Sénégal) ni bénéficié de droits liés au travail formel. Alors que la Constitution sénégalaise garantit à chaque citoyen la protection contre les vulnérabilités sociales, et que la Stratégie nationale de protection sociale adoptée par l’État s’engage à l’inclusion des groupes vulnérables, une frange importante de travailleurs reste en dehors du système.
Un détournement de la législation du travail
De nombreux établissements publics et privés exploitent la faille des « contrats de prestations de services ». Des travailleurs essentiels à l’activité des structures sont déguisés en prestataires, sans autonomie réelle ni existence légale conforme à la réglementation (immatriculation au RCCM, respect de l’OHADA, etc.). Le Code du travail sénégalais, pourtant clair, est violé systématiquement : un emploi permanent et nécessaire à l’activité normale d’une structure ne peut pas être externalisé à un prestataire. Le ministère du Travail, l’Inspection générale du travail, et l’IPRES sont pourtant censés surveiller ces abus et engager des actions correctrices.
Un filet social déchiré
Les conséquences sont dramatiques : Pas de cotisations à l’IPRES, donc pas de pension, pas de couverture maladie à la CSS (Caisse de Sécurité Sociale), pas de congés, pas d’indemnités, pas de stabilité. Une précarité programméepour des milliers de futurs retraités. Ce phénomène s’oppose aux objectifs des Objectifs de Développement Durable (ODD), notamment l’ODD 1 (Éradication de la pauvreté), l’ODD 8 (Travail décent), et l’ODD 10 (Réduction des inégalités). Il met aussi à mal les engagements du Sénégal vis-à-vis de l’Union africaine dans sa politique de protection sociale et de vieillesse.
Un appel à la responsabilité collective
L’État, les partenaires sociaux, les ONG, les institutions internationales telles que l’OIT, la Banque mondiale, ou encore l’Union européenne, doivent agir collectivement. Il est impératif : de renforcer les inspections du travail, de condamner les pratiques illégales d’externalisation abusive, de régulariser les travailleurs concernés, et de sensibiliser les employeurs et les salariés à leurs droits et devoirs. Des initiatives telles que le Programme national de bourses de sécurité sociale ou le Plan Sénégal Émergent (PSE) Axe 2 sur le capital humain doivent être renforcées et élargies à tous les travailleurs vulnérables.
Ne pas agir aujourd’hui, c’est construire un avenir injuste et instable. Nous risquons de faire face à une génération de retraités sans ressources, exposés à l’indignité après avoir contribué à la richesse nationale. Protéger le travailleuraujourd’hui, c’est garantir la dignité de ses vieux jours. Lutter contre les fausses prestations de services, c’est défendre le droit à la retraite pour tous.
A.A.N
SENQUOTIDIEN
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