Serigne Mbacké Madina Faye, 25 ans, peut se prévaloir d’un parcours très inspirant, de l’école coranique à l’univers digital. Une trajectoire lui ayant permis de se faire une place dans l’univers de la production audiovisuelle et de l’impression numérique, au point de devenir un ‘’ChangeMaker’’ engagé avec la même force dans la réflexion pour accompagner les sortants des ‘’daara’’ vers l’entrepreneuriat, avec l’objectif, de contribuer à une véritable transformation sociale.
Presque autodidacte et incapable d’aligner une phrase en français avant ses vingt ans, celui qui se présente comme un talibé-preneur, allusion au flair entrepreneurial que l’on prête aux ‘’talibé’’, a réussi à s’imposer dans l’univers exigeant du numérique, à force de détermination et grâce à une soif de connaissance rare à ce niveau.
Issu d’une famille profondément enracinée dans l’enseignement arabo-islamique traditionnelle, Serigne Mbacké Madina Faye est à l’image de nombreux Sénégalais ayant d’abord fréquenté l’école coranique avant de rejoindre les rangs de celle occidentale.

Il incarne la trajectoire inspirante d’un ancien pensionnaire de l’école coranique qui a su transformer les principes acquis au ‘’daara’’ – patience, résilience, humilité et quête du savoir – en véritables atouts pour s’épanouir professionnellement dans un domaine, pour tout dire, assez éloigné des disciplines dispensées par un système d’enseignement traditionnel plus porté dans les sciences religieuses et théologiques.
Envoyé à l’école coranique dès son plus jeune âge, il a mémorisé l’intégralité du Coran et recopié à la main par deux fois le Livre saint, comme il est de coutume dans la tradition mouride. Ce parcours lui a valu un mental qui facilite tout autre apprentissage, selon ses dires.
‘’Les études coraniques, avec leurs difficultés, rendent les autres domaines plus accessibles. Elles nous enseignent la patience et la détermination’’, confie le jeune homme de 25 ans dont les habits amples cachent un corps d’apparence fragile.
Le déclic avec l’incubateur Xidma center
Après avoir achevé ses études islamiques en 2019, Serigne Mbacké Madina Faye découvre grâce à Internet les activités de la Génération Saalih, une plateforme qui accompagne les sortants des daara vers l’entrepreneuriat.
Cette organisation, présidée par Fallou Niang, également manager général des Xidma Centers établis dans certaines localités du pays dont Dakar et Louga, se présente comme un acteur majeur de la transformation sociale au Sénégal.
Inspiré par les enseignements de Serigne Saliou Mbacké, le mouvement concentre ses efforts sur l’éducation, l’insertion professionnelle et l’inclusion des jeunes en situation de vulnérabilité, peut-on lire sur le site Internet qui lui est dédié.
Déterminé comme personne, le jeune Serigne Mbacké s’oriente d’abord vers l’électricité et l’énergie photovoltaïque avant de rejoindre le Xidma Center à Dakar, où il suit des formations en bureautique et infographie tout en s’initiant à la langue française.

Malgré quelques lacunes en communication orale dans la langue de Molière, il poursuit son ascension et parvient à intégrer Hollywood University, où il étudie la production audiovisuelle (montage et cinéma). En parallèle, il se forme en autodidacte au développement d’applications web à travers des tutoriels en ligne sur YouTube.
Dans ses souvenirs les plus lointains, son intérêt pour l’informatique remonte à l’une de ses fugues du ‘’daara’’ pour se réfugier à Dakar. Durant ces moments d’errance, il découvre l’attrait des cybercafés, espaces qui ont contribué à préparer il y a quelques années la démocratisation de l’Internet. La connexion numérique, il faut se le rappeler, était un véritable luxe à une certaine époque avant de devenir aussi accessible à mesure que les smartphones envahissent les maisons.
Grâce à un financement obtenu auprès de la délégation générale à l’entrepreneuriat des femmes et des jeunes (DER/FJ), il a pu se procurer le matériel pour exceller dans la production audiovisuelle et l’impression numérique.
Offrir une image plus positive des ‘’daara’’
‘’Aujourd’hui, en plus de mes activités professionnelles au quotidien, je me charge de tout ce qui est communication et digital pour les activités religieuses de mon ancienne école coranique’’, dit-il, fier de s’acquitter de son ‘’alarba’’ de cette manière, en référence à cette pièce de monnaie que l’apprenant apportait à son maître le mercredi, jour de la semaine dédié aux travaux champêtres de l’enseignant, en guise de gratitude.
Le ‘’alarba’’, en plus de sa dimension recherche de bénédiction, était aussi une manière astucieuse, pour les apprenants, de contribuer aux charges inhérentes à son encadrement, étant entendu que la gratuité des services constitue le socle du système d’enseignement arabo-islamique traditionnel.
La gratuité est un principe qui prévaut encore dans ce domaine, même si de plus en plus d’écoles coraniques de type internat construites sur le même modèle que les établissements d’inspiration occidentale, en termes de confort et de convenance notamment, proposent désormais des forfaits et des standards qui ne sont pas à la portée de toutes les classes sociales.
À 25 ans, Serigne Mbacké Madina Faye ne s’interdit aucun rêve. Surtout qu’il nourrit l’ambition de créer une fondation pour accompagner les ‘’daara’’, et de réaliser un film pour déconstruire les stéréotypes et clichés qui entourent l’enseignement coranique.

Il veut aussi contribuer à prouver que le numérique est accessible même sans une scolarisation classique en français.
Si la mendicité et la violence faite aux enfants sont souvent les facettes les plus visibles des écoles coraniques traditionnelles, le créateur de contenus digitaux appelle à lever le voile sur des aspects plus positifs des daara, relativement à la résilience, à la détermination et au caractère entreprenant des talibés.
‘’Les Japonais et les Chinois ont appris l’informatique dans leurs propres langues’’, souligne-t-il avec lucidité, pour dire que les langues locales peuvent consigner une science et servir de tremplin à l’épanouissement socioprofessionnel.
Trouver des passerelles entre ‘’daara’’ et école formelle
Son parcours n’a toutefois pas été exempt d’obstacles. Certains formateurs, peu familiers avec le caractère et le profil des sortants des ‘’daara’’, hésitaient à leur confier des machines et ordinateurs par crainte de fausses manipulations.
À Hollywood University par exemple, il a dû faire faire preuve de détermination pour surmonter la barrière linguistique.
‘’Gêné de manquer certaines explications, j’ai finalement bénéficié de la compréhension d’un formateur qui a accepté de m’expliquer en wolof’’, raconte celui qui quittait Zac Mbao, son lieu de résidence dans la grande banlieue dakaroise, pour venir à son école sise sur la VDN.
Sa persévérance lui a valu d’être désigné meilleur étudiant de sa promotion. Conscient des défis, Serigne Mbacké Madina Faye milite aujourd’hui pour l’introduction de disciplines techniques et du français dans les ‘’daara’’. C’est une approche qui devrait aider à renforcer l’employabilité des talibés, souligne-t-il.
Il plaide aussi pour la création de passerelles dans le système éducatif formel, permettant l’obtention de diplômes et de certifications professionnelles pour les enfants scolarisés dans les ‘’daara’’. Une reconnaissance essentielle, selon lui, dans une société où certains hésitent encore à faire affaire avec des entrepreneurs issus de parcours atypiques comme le sien.
‘’Si les valeurs inculquées dans les daara comme la patience, la persévérance et l’humilité sont valorisées et reliées au système éducatif formel, les talibés peuvent exceller dans tous les domaines’’, affirme-t-il, convaincu que l’avenir des pensionnaires de l’école coranique passe par une meilleure articulation entre tradition religieuse et modernité professionnelle.

Il admet cependant que la concrétisation de ce projet, visant à rapprocher les offres éducatives traditionnelles et modernes, nécessite, au préalable, l’adhésion de certains responsables de daara, encore attachés à une vision strictement religieuse et réticents à toute idée de modernisation à travers l’introduction de disciplines profanes qui entamerait le caractère sacré de ce système d’enseignement.
Source : APS
Laisser un commentaire