Les dernières inondations enregistrées à Tambacounda (est), suite à la crue du Mamacounda, ont remis au goût du jour la question de la valorisation de ce cours d’eau traversant d’est en ouest la capitale orientale du Sénégal. Un projet dont la concrétisation devrait contribuer à transformer le quotidien des locaux.
Sur les berges du Mamacounda, à hauteur du quartier Dépôt, le coucher du soleil offre un spectacle unique en cette période de saison des pluies où la nature offre aux habitants de Tambacounda un paysage pittoresque.
La verdure, luxuriante le long du Mamacounda pendant la saison des pluies, contribue à atténuer la chaleur qui sévit à Tambacounda pendant la saison des pluies.
Reconnu comme une vallée morte à cause de la longue période d’assèchement qui le caractérise, le Mamacounda est un bras de fleuve qui traverse entre onze et treize quartiers de la ville de Tambacounda.
Cet écosystème fluvial est constitué d’un lit majeur qui passe par les quartiers Liberté, Pont, Pont 1 et Pont 2, Abattoirs, Dépôt, Médinacoura, Camp Navétanes et Gourel Dadié.
Mamacounda, un mot mandingue signifiant ”Chez Mama”, une référence à une légende faisant référence à des pratiques mystiques et surnaturels consistant à convoquer les esprits de cette vallée.
Bounama Kanté est né et a grandi au quartier Pont, le deuxième de la commune de Tambacounda en termes d’ancienneté. Il est également membre fondateur d’un mouvement citoyen pour la mise en valeur du Mamacounda.
Selon Kanté, le Mamacounda est donc loin d’être un simple écosystème fluvial, c’est un lieu chargé d’histoire en lien avec des croyances et pratiques mystiques qui sortent de l’ordinaire.
‘’Le Mamacounda a une grande histoire mystique. Il y a une danse mystique qu’on appelle le +Maribayassa+ et qui est liée au Mamacounda’’, explique-t-il.
”Quand une femme reste longtemps sans avoir d’enfants ou n’a que des filles et veut avoir un garçon, elle fait la promesse de danser le ‘Maribayassa’ le jour où elle en aura un’’, raconte-t-il.
‘’Si son vœu se réalise, elle doit s’habiller d’une manière pittoresque et danser comme une folle en se dirigeant vers le lit du Mamacounda en compagnie d’autres femmes’’, explique-t-il.
Sur place, elle doit se déshabiller et s’adresser à l’esprit du fleuve pour lui signifier, dans un dialogue à la fois intime et surréaliste, qu’elle a tenu sa promesse.
Les rives du Mamacounda devenues un triste dépotoir
Malgré le caractère bienveillant de la légende, le Mamacounda est loin d’être un cours d’eau tranquille. Il constitue même un cauchemar pour les populations installées depuis des décennies sur ses rives, en cas de débordement pendant la saison des pluies.
Le reste du temps, c’est-à-dire pendant neuf mois environ, le Mamacounda, asséché, semble endormi, en pleine léthargie, au point que les résidents comme les pouvoirs publics ont tendance à même oublier qu’il présente des risques d’inondation.
Les inondations survenues le 14 août dernier, suite à un débordement du lit du Mamacounda, ont impacté plus de 300 ménages et causé trois décès.
Cette crue s’explique essentiellement par l’action de l’homme, certains endroits du Mamacounda ayant été transformés en dépotoirs d’ordures qui, en période d’hivernage, bloquent le ruissellement des eaux vers l’aval.
Il y a aussi d’autres facteurs liés au climat, au déficit des politiques publiques corrélé à une urbanisation galopante non maîtrisée et une occupation anarchique des emprises du fleuve, sans compter un sous dimensionnement des ponts enjambant le lit du Mamacounda.
Falilou Kaïré est un habitant du quartier Médinacoura de Tambacounda. Il est né et a grandi à côté du Mamacounda.
Sur l’une des rives du Mamacounda, il observe le beau paysage verdoyant de la ville de Tambacounda, un état contemplatif contrarié par une odeur désagréable causée par les nombreuses ordures jetées un peu partout le long de la vallée.
Au quartier Médinacoura, comme sur la plupart des berges du Mamacounda, la situation est alarmante avec des ordures déposées partout, à un jet de pierre du fleuve.
A côté de ce triste décor, des enfants, inconscients du danger, cherchent quelques rares objets précieux.
”Le Mamacounda est très occupé, il est bloqué par certaines habitations, mais lorsque j’étais enfant, le Mamacounda était propre et on y prenait des poissons. Malheureusement, aujourd’hui, il est rempli d’ordures’’, déplore Falilou Kairé, déçu.
De fait, de nombreux habitants de Tambacounda continuent de vivre sur les rives du Mamacounda, malgré les risques de crue persistantes hivernage après hivernage.
Les autorités locales ont pourtant essayé de remédier à cette situation, à travers des mesures ayant consisté par exemple à reloger les riverains sur d’autres sites.
Le quartier Plateau de la ville de Tambacounda a été créé dans ce sens pour déplacer les populations mais après des décennies, certains s’accrochent toujours à leurs terres.
Vers un recasement des riverains du Mamacounda
”Le Mamacounda est un casse-tête pour la commune. Je me rappelle en 1973, il y a eu des inondations et c’est dans ce contexte que la commune de Tambacounda, dirigée à l’époque par le maire Moussa Diallo, a créé le quartier Plateau pour déplacer les populations qui habitaient sur la rive’’, a expliqué Oumou Diallo, première adjointe au maire de Tambacounda.
Des décennies après, la question du déplacement des populations installées sur le lit se pose à nouveau avec acuité.
Suite aux inondations survenues le 14 août dernier, le préfet du département de Tambacounda a annoncé la mise en place d’actions ‘’structurelles’’ allant dans ́le sens de déplacer tous les riverains, une mesure entrevue comme une solution durable à la recrudescence des inondations dues à la crue du fleuve Mamacounda.
Dans la ville de Tambacounda, cette annonce du préfet trouve un écho favorable à la fois chez les populations et les autorités locales, qui demandent une diligence dans l’exécution de cette décision.
”Il y avait eu déjà un premier déplacement, mais les gens sont revenus, ils s’installent de façon illégale le long du Mamacounda et personne ne peut montrer un papier légal. Nous souhaitons aujourd’hui, avec la collaboration des autres collectivités territoriales, c’est-à-dire Ndoga Bacabar, Sinthiou Malème ou Nétéboulou, déplacer les populations qui sont sur le lit du Mamacounda, car actuellement la commune de Tambacounda n’a plus d’assiette foncière’’, renseigne Oumou Diallo, première adjointe au maire.
”Les habitations et les ateliers qui se trouvent sur le long du fleuve constituent un véritable problème, il y a des gens qui viennent pour faire le jardinage et finissent par y habiter. Quand il pleut, l’eau n’arrive pas à ruisseler normalement et finit par envahir les maisons riveraines. Donc les autorités doivent faire le nécessaire pour libérer le Mamacounda’’, martèle Falilou Kaïré.
Les inondations survenues cette année dans les quartiers Pont, Abattoirs, Médinacoura et Dépôt ont remis au goût du jour la nécessité de mettre en valeur ce cours d’eau.
A Tambacounda, elles sont nombreuses les voix qui plaident pour la valorisation du Mamacounda par le biais d’actions de restauration des berges et de ses écosystèmes.
Certains suggèrent la création d’activités économiques liées à l’eau afin de tirer profit de cet écosystème fluvial.
Le 19 juillet dernier, le ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement, Cheikh Tidiane Dièye, avait visité des ouvrages d’assainissement des eaux pluviales et les sites impactés par les fortes pluies enregistrées quelques jours plus tôt à Tambacounda.
Au terme de cette visite, Cheikh Tidiane Dièye avait annoncé la réalisation de digues et d’s aménagements divers le long du Mamacounda afin de transformer en opportunités les défis liés à la gestion de ce cours d’eau.
Du côté des autorités locales, la mairie de Tambacounda a mis en place une politique de valorisation du Mamacounda à travers l’aménagement de six jardins maraîchers au profit des jeunes et des femmes.
”On a voulu valoriser le Mamacounda à travers la création de périmètres maraîchers le long du fleuve pour promouvoir l’autonomisation des jeunes et des femmes. Nous avons six périmètres maraîchers mais à chaque fois que nous voulons aménager un nouveau périmètre, il y a des gens qui se lèvent pour réclamer la parcelle de terre en question, alors qu’ils ont été tous dédommagés depuis les années 1973 et 1974’’, a fait savoir Oumou Diallo.
Au quartier Dépôt, par exemple, un jardin maraîcher a été aménagé par la mairie au profit d’un groupement de femmes.
Il reste toutefois que cette politique d’aménagement validée par les bénéficiaires est mise à rude épreuve par la crue du Mamacounda.
Sur l’un des jardins maraîchers situé au quartier Dépôt, le visiteur peut constater encore la violence de la crue qui a détruit une grande partie du périmètre dont le mur de clôture.
‘‘Ce jardin a été aménagé au profit de notre groupement qui compte 100 femmes. Chacune de nous a trois planches à exploiter. Ce jardin maraîcher est une grande opportunité pour nous, nous y travaillons durant toute la saison sèche’’, explique Fanta Kébé, trésorière des femmes maraîchères du quartier Dépôt de Tambacounda.
Valorisation le Mamacounda à travers le Fonds Vert pour le Climat
‘’Mais en période de saisons des pluies, nous avons toute sorte de difficultés, nous ne travaillons quasiment pas, la pluie a tout détruit sur son passage, même notre mur de clôture ne tient plus, sans compter les nombreuses ordures que le courant a laissées dans notre jardin’’, ajoute Fanta.
Au regard des enjeux, de nombreux acteurs estiment que la valorisation de ce cours d’eau nécessite une prise en charge structurelle à travers un projet durable financé par le Fond vert pour le climat.
”Nous plaidons aujourd’hui pour un grand projet financé par le fond vert pour le climat en vue de faire du Mamacounda, un lieu où les populations peuvent s’épanouir, car les riverains souffrent, nous sommes cette année à 350 maisons endommagées. Nous voulons un grand projet sur le Mamacounda’’, a plaidé Oumou Diallo, la première adjointe au maire de Tambacounda.
”Il faut une prise en charge qui mettra à contribution tous les services techniques de la région, notamment ceux en charge du climat et de l’environnement, pour mettre en place un grand projet qui permettra de créer un microclimat sur le long du Mamacounda, un espace touristique, culturel de divertissement au grand bonheur populations de la ville de Tambacounda’’, préconise Bounama Kanté, membre fondateur du mouvement pour la valorisation du Mamacounda.
Le Fonds vert pour le climat (FVC) a été créé 2010 en tant que mécanisme financier de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements Climatiques (CCNUCC) dans le but de soutenir les efforts des pays en développement visant à relever le défi du changement climatique.
Selon Cheikh Omar Baldé, chef de la division régionale de l’environnement et des établissements classés de Tambacounda, la prise en charge durable du Mamacounda peut bel et bien passer par le Fonds vert pour le climat à travers un projet à fort impact social et environnemental.
”C’est toujours possible d’avoir un projet réfléchi par tous les acteurs qui permettra de capter des financements au niveau du Fond vert pour le climat dans son volet adaptation, parce que ce sont des fonds qui sont disponibles pour s’adapter face aux changements climatiques. Et il se trouve que le problème du Mamacounda s’explique par les effets du changement climatique. Donc, mettre en place un projet pour le reprofilage de ce cours d’eau est une bonne idée”, a-t-il déclaré.
Il estime qu’un tel projet, s’il est bien ficelé, il est possible de ‘’mettre en place un projet bancable qui pourra capter des financements au niveau du Fond vert climat’’, de concert avec les acteurs concernés, notamment les services des ministères de l’Environnement, de l’Eau et de l’Assainissement à travers l’Office des lacs et cours d’eau (OLAC), en rapport également avec les collectivités territoriales et les autorités administratives locales.
En attendant la mise en place d’un grand projet pour la valorisation du Mamacounda, les populations riveraines de cet écosystème fluvial tentent tant bien que mal de s’adapter aux risques de crue qui persistent hivernage après hivernage.
Source : APS
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